Décidémment, que j’aime rendre accessibles les œuvres du Musée Réattu à Arles.
Maud DUPUIS-CAILLOT
Après la photographie de Strand, l’huile sur toile de Raspal et l’encre de Alechinsky, voici deux photographies de Jean Dieuzaide.
L’outil de médiation n’est ni une nouvelle œuvre, ni une copie. C’est un support pédagogique. Chaque interprétation tactile est une plongée dans un nouvel univers. Pour rendre ces œuvres accessibles aux publics déficients visuels, il faut choisir un autre point de vue : celui de l’artiste. Il faut tenter de regarder le monde à sa façon. Comment cadre-t-il son image ? Que représente-t-il ? Que ressent-il ? Pour permettre au public malvoyant ou non-voyant de saisir la vision de l’artiste par le toucher, il faut soi-même changer son regard.
L’œuvre du moment au musée Réattu à Arles, ce sont 2 photographies de Dieuzaide.
Du noir et blanc, des cadrages très serrés pour représenter le très grand, des lignes, des lignes et encore des lignes. Comment interpréter tactilement ces 2 tirages pour les rendre accessibles à des visiteurs non-voyants ?
Chacune de ces 2 photos est interprétée d’une part sous forme d’une image en relief visiotactile et d’autre part avec une maquette en volume (impression 3D). Les 2 images en relief reprennent ces lignes obsédantes.
Sur la première photographie, L’escalier de Gérone (1956), les lignes horizontales remplissent toute l’image à la façon d’un motif. Le titre nous indique qu’il s’agit de marches. De plus en plus serrées en se rapprochant du haut de l’image, ces marches n’en finissent plus, comme un escalier qui monterait jusqu’au ciel, alors que dans le quart en bas à gauche, un ecclésiastique descend les marches un livre à la main. Sa longue soutane noire semble perforer l’escalier, absorbant le regard. On se sent submergé face à cette image, certainement comme le visiteur tout petit en bas des escaliers, qui lève la tête pour faire face à l’église San Felix de Gerone qui le surplombe, imposante en haut des 3 volées de marches. Pour comprendre cette configuration architecturale, la maquette 3D reproduit cet escalier et représente l’ecclésiastique par un simple cône, sur le 3ème marche.
Sur la deuxième photographie, les lignes sont verticales, serrées, régulières, géométriques. Elles commencent du haut de l’image, remplissent toute la photographie et s’arrêtent en bas, au 9/10eme de l’image, laissant une zone plus calme où se trouve un tout petit personnage (le photographe, car il s’agit de L’autoportrait – 1960). Sans ce personnage, cette photo pourrait n’être qu’une composition abstraite et géométrique. Mais cette silhouette renseigne sur la nature de ces lignes, c’est le bardage d’un bâtiment industriel. Cette façade aveugle qui recouvre toute l’image est monumentale. Mais ces lignes verticales sont perturbées par de grandes diagonales qui traversent l’image depuis le haut à gauche vers le bas à droite. Ce sont les ombres d’un bâtiment et d’un portique encore plus grands qui se trouvent sur la gauche de l’observateur. Ces bâtiments gigantesques, infime partie du bassin industriel de Lacq qui exploite des gisements de gaz naturel, ne sont présents sur la photographie que par leur ombre, mais écrasent littéralement le spectateur. Pour aider à la compréhension, cet ensemble industriel est représenté sous forme d’une maquette 3D, éclairée de côté. Les ombres sont matérialisées, sur la maquette comme sur l’image visiotactile, par une texture de gomme.
A voir et à toucher au musée Réattu à Arles en 2022 !
(Conception Polymorphe Design – Réalisation MihalyGroup)